Avec cette contribution, nous allons inaugurer une rubrique régulière qui sera consacrée à la vie associative dans notre pays, l’objectif étant de rendre compte d’une activité à caractère citoyen, devenue aujourd’hui en Tunisie et partout dans le monde l’un des axes majeurs de la vie en société.
Une nouvelle loi porteuse d’une réforme du régime associatif en Tunisie est en cours d’élaboration. Cette démarche a été rendue nécessaire au vu de la pagaille qui s’est installée dans ce domaine après le soulèvement de 2011.
Certains se félicitent d’une indispensable remise en ordre dans une maison qui était devenue une véritable auberge espagnole, sans autres lois que celles qui étaient édictées par des acteurs qui, le plus souvent, n’étaient que des hommes de paille au service d’intérêts suspects, souvent d’origine étrangère. D’autres appréhendent une sournoise reprise en main de structures citoyennes qui ont échappé, l’espace d’un peu plus d’une décennie, à la mainmise d’une administration soucieuse de tout contrôler, tout orienter à défaut de pouvoir tout diriger.
Le très proche avenir nous dira ce qu’il en est exactement, un projet de loi gouvernemental devant être soumis, dans les semaines qui viennent, à la présidence de la République qui en soumettra la dernière mouture au Parlement pour discussion et vote. Entretemps, il nous a paru utile de rappeler, à travers quelques exemples, la portée présente ou passée de l’engagement citoyen dans quelques domaines de la vie en société. Et, pour être dans l’air du temps, nous avons choisi de nous arrêter à l’action de bienfaisance qui, nous allons le voir, a donné le meilleur, mais aussi le pire comme nous l’a enseigné l’expérience de la décennie passée.
L’exemple de Aziza Othmana
L’action philanthropique dans notre pays est profondément ancrée dans la tradition et dans les mentalités, individuelle et collective, informelle ou institutionnalisée. Action ponctuelle ou continue, elle témoigne d’une compassion agissante destinée à venir en aide aux laissés-pour-compte. L’exemple le plus cité de cette vertu est celui de la princesse mouradite Aziza Othmana qui, au XVIIe siècle, a légué son immense fortune sous forme de bien habous (ce qu’on appellerait aujourd’hui «fondation») pour venir en aide à perpétuité aux nécessiteux : pauvres, esclaves et marginaux. Ses bienfaits lui ont survécu plus de trois siècles, jusqu’à ce 31 mai 1956 quand un décret beylical, sur proposition (injonction !) du Premier ministre Habib Bourguiba, est venu mettre fin à cette institution et rattacher tous les biens habous du même genre au domaine de l’Etat (pour les résultats que l’on sait).
Ce décret illustre clairement la volonté précoce de l’Etat de l’indépendance d’exercer un contrôle rapproché sinon une tutelle directe comme c’est le cas plus haut sur toutes les activités à caractère «non gouvernemental», dira-t-on dans le jargon d’aujourd’hui. Et de fait, nous allons, à partir de 1956 et jusqu’en 2012, assister au déclin de la vie associative jusqu’à sa quasi totale extinction. Voilà, assurément, ce qui explique l’appréhension des milieux associatifs à l’annonce de la révision de la loi sur les associations. L’Etat aurait-il été repris par ses démons dominateurs ?